Le TVSB est une course au départ de la station suisse de Verbier dans le Valais, qui dispose d’une certaine renommée en Suisse mais aussi en France dans les régions frontalières. Elle existe depuis 2009. C’est une course réputée belle mais difficile. Le parcours offre un dénivelé important, il est aussi très alpin avec plusieurs cols à franchir au-delà de 2500m et généralement de nombreux passages enneigés.
La course s’est affiliée cette année au circuit UTMB des courses qualificatives pour les courses de l’UTMB (Ultra Trail du Mont Blanc) qui ont lieu à la fin août à Chamonix. Elle rapporte des « running Stone » permettant de pouvoir participer au tirage au sort pour ces courses. Depuis l’année dernière n’ayant pas pu participer à la CCC (Courmayer Champex Chamonix) course de l’UTMB sur laquelle j’étais inscrit, je gardais en tête l’idée de tenter de nouveau ma chance au tirage au sort pour la CCC en 2023. Mais pour cela il fallait passer par au moins une course qualificative. Mon choix s’est porté sur le TVSB X-Traversée.
Le profil de la course :
Nous voilà parti en Suisse avec Cécile le vendredi 8 juillet 2022. Arrivés en fin d’après-midi à Verbier nous prenons possession des clés de notre studio, et nous nous rendons au lieu de rassemblement pour récupérer mon dossard et assister au briefing d’avant course. L’organisation en mode UTMB fait son effet. Ce n’est pas la petite course régionale !
Comme dans la plupart des évènements Trail il y a plusieurs courses organisées durant le WE, 4 au total, dont : La X-Alpine de 140km, 9300 m de D+ qui partait vendredi soir à 22h de Verbier. J’allais retrouver sur le parcours des coureurs de cette course, puisque le parcours de la X-Alpine rejoignait le parcours de la X-Traversée (76km, 5300m de D+) qui partait de La Fouly au pied du Massif du Mont Blanc et des grandes Jorasses côté Suisse, samedi matin à 8h. Les organisateurs nous annoncent une météo parfaite. Les parcours sont déneigés cette année. Tout est réuni pour des courses superbes. Après une nuit courte et agitée, comme d’habitude, le stress d’avant course ne m’a pas beaucoup laissé dormir, je prends la navette à Verbier à 6h30 qui nous emmène sur le lieu de départ.
J’ai beaucoup d’interrogations avant mon départ. La préparation a été bonne mais assez légère concernant le dénivelé. Aucun weekend de préparation en montagne, l’altitude est une grande inconnue (en moyenne autour de 2000m). Je n’ai pas une grande confiance sur l’alimentation et l’hydratation. Cela n’avait pas été terrible sur le THP, j’avais testé dans mes dernières sorties d’entraînement, la boisson isotonique de Overstime, mais ce n’était pas concluant, elle me donnait envie de vomir ! j’ai en revanche adopté les gels longue distance de la même marque.
La forme du moment est aussi une grande inconnue, les dernières sorties longues ont été difficiles. J’ai passé un épisode de rhume qui m’a bien mis à plat.
Sur la ligne de départ, surprise, je vois un visage connu Georges un ancien collègue de Suisse. Accolade, partage de quelques nouvelles professionnelles et des courses auxquelles chacun avait participé. A son actif la CCC, la TDS et le Eiger ultra trail (beau CV !) de mon côté, je lui dis que cela va être ma course la plus longue. On ne se croisera pas pendant la course, il arrivera en 21h53.
Le départ est donné après les rituels d’avant course, les discours grandiloquents, les musiques d’ambiance… un poème de Rudyard Kipling.
https://short-edition.com/fr/classique/rudyard-kipling/tu-seras-un-homme-mon-fils-1
Joli poème très inspirant, je dois dire que sur le moment je n’ai pas saisi grand-chose au poème !? L’essentiel n’est pas là, place à la montagne avec un grand M ! nous sommes 625 sur la ligne.
La première ascension vers le col de Grand St Bernard est longue de 1200m. L’allure est raisonnable, je suis parti modestement dans le dernier tiers du peloton, je prends quelques concurrents comme repère, pour me permettre de me situer. Il y a tout de même du monde, pas sûr que je les retrouve plus tard dans la course. Il y a aussi quelques bouchons qui nous permettent de souffler et de regarder le paysage grandiose, vue sur les grandes Jorasses.
Nous passons un premier col après 2 heures d’ascension et basculons vers le col du Gd St Bernard.
Je m’engage dans une première descente prudemment. Je réalise rapidement que j’ai à faire à des montagnards ici, rien à voir avec des Parisiens. Je me fais doubler à droite, à gauche… Il y a du niveau ! Les descentes du Trail des lavoirs où je regagnais des places à chaque descente sont bien loin !
Premier ravito, au col, je bois avec plaisir un premier bouillon de légumes, je mange quelques morceaux de fromage et de jambon. Tout va bien pour le moment. Je repars dans une nouvelle ascension vers le Col des Chevaux puis c’est la descente.
Elle débute par un passage raide et vertigineux, le précipice est là au bord du chemin à quelques dizaines de cm. La chute est interdite. Nous sommes en file indienne, quelques bouchons se forment, mais personne ne double.
Une fois le passage délicat passé quelques centaines de mètres plus bas, la pente s’adoucit, fini les rochers, place à un long chemin en descente dans la prairie. Je peux enfin envoyer les chevaux.
Et je me fais plaisir, je prends un peu de vitesse Yaooouh ! je dévale la pente, je me sens bien et même très bien, je reçois des doses d’endorphine dans tout le corps. C’est le pied. Après 4h de course, je profite à fond.
La fatigue arrive tout de même à la fin de la descente. Elle est longue de plus de 1200m de dénivelé et je ressens un soulagement en arrivant à Bourg St Pierre pour le deuxième ravito où Cécile est sensée m’attendre. Je suis en avance de 15 min sur mon temps prévisionnel. J’avais préparé un tableau avec mes temps de passage prévu que j’ai partagé avec Cécile. Est-ce que Cécile sera là ?
Je discute dans la descente avec un Français, il me dit qu’il attend aussi sa femme à Bourg St Pierre mais que lui est en avance d’1h. Finalement nous sommes tous les deux soulagés nos femmes respectives sont bien au rendez-vous !
L’ambiance est chaleureuse dans ce village valaisan de fond de vallée. Le ravito est bien achalandé. Plat de pâtes pour certains. En ce qui me concerne je reste sur le bouillon qui me convient bien. Cécile fait mon assistance avec efficacité. Remplissage de mes flasques et de mes poches en gels, barres et compotes.
Un bisou et c’est reparti après une quinzaine de minutes d’arrêt. C’est l’ascension vers la Cabane de Mille qui se profile avec 1000m D+ à avaler. Le paysage change. Je surveille mon cardio et maintient un bon rythme sans me mettre dans le rouge. C’est là que quelques concurrents commencent à caler.
J’arrive au refuge de la Cabane de Mille après 2h30 d’ascension et 7h53 de course. Je savoure ce moment de convivialité à 2500m d’altitude, je retrouve quelques visages croisés sur la course et le sourire des bénévoles fait du bien. Il y a encore le bol de bouillon qui m’attend et me requinque. Je fais bien attention à me réhydrater pour ne pas revivre les moments difficiles du THP 1mois et demi plus tôt.
Je me lance dans la descente avec plutôt une bonne allure, je me rends compte que j’avale quelques concurrents, cela me rassure sur mes qualités de descendeur.
Vient ensuite une succession de côtes puis de descentes qui font mal. Je me retrouve seul pour la première fois depuis le début de la course. J’accuse un peu le coup, je tente de relancer l’allure en apercevant 2 coureurs plus loin.
Il s’agit d’un Brésilien et d’un Portugais qui tapent la causette. Je les rattrape et reste derrière eux quelques minutes. Ils parlent très fort et je dois avouer qu’ils finissent par me saouler un peu. Je les double. Mon cardio s’élève un peu, j’espère que je ne vais pas le regretter plus tard.
Un dernier raidillon et j’arrive à la cabane Brunet, 9h25 de course. Je reste en avance par rapport à mon planning prévisionnel d’environ 30 minutes.
Je prends mon temps comme pour toutes les pauses ravitaillement. Le paysage est superbe.
La suite s’annonce compliquée avec 2 sommets à 2600 m d’altitude, ce sera le juge de paix. Mais aussi le clou du spectacle !
L’ascension fait face au Grand Combin, un sommet des Alpes suisses culminant à 4314 m. Je m’arrête pour saisir ce moment !
Puis elle se termine en lacets avec une pente supérieure à 30% pour atteindre le Col des Avouillons, comme une fenêtre sur le glacier de Corbassière. C’est prodigieux !
Je m’arrête au col, il fait frais. La vue est incroyable, irréelle. Le Glacier est majestueux !
Je prends une photo et je me rends compte que la batterie de mon téléphone est presque déchargée, je tente de prendre la photo plusieurs fois sans succès, pas assez de batterie ? et puis finalement je parviens à prendre une photo, la dernière de la course. Il est 18h30, l’ombre gagne sur le glacier, cela renforce le côté sombre de la montagne. Le vent souffle fort, je ne peux m’attarder plus longtemps, au risque de me refroidir.
La descente est raide pour rejoindre la passerelle de Corbassière, cette passerelle longue de 190 mètres à plus de 70m au-dessus du Glacier. Je tente d’assurer mes pas tout en jetant des coups d’œil sur le panorama majestueux. Un univers purement minéral fait de rochers et de glace, c’est lunaire. Quelques photos du lieu extrait du web.
Je traverse la passerelle en marchant, et tente quelques coups d’œil vers le bas. La grille de fer laisse apparaitre le vide sous mes pieds, je vois le Glacier 70m plus bas. Je ne m’attarde pas et continue en regardant plus au loin devant. Ouf !
De l’autre côté du Glacier, c’est une nouvelle ascension de 300m sur une arrête très aérienne vers le refuge de Panossière qui domine le Glacier sur l’autre versant. Déjà 12 heures de course, je me sens toujours bien. Le ravito est là, encore éclairé par le soleil. Je me précipite sur le bouillon chaud, la potion magique ! je remplis mes flasques, grignote quelques fruits secs, un morceau de fromage et de saucisson, prends un peu de temps pour admirer encore une fois cette vue magnifique et c’est reparti pour une descente de près de 1600m de dénivelé.
Elle débute par un chemin qui serpente dans les rochers la pente est raide, je croise les participants qui montent au refuge de Panossière, puis j’atteins une sorte de chemin de terre domestiqué à flanc de montagne, une bande de 60 cm bordée par de l’herbe avec une rigole d’eau qui coule le long du chemin, je franchis des petits ponts, une passerelle, tout cela à plus de 2000 m d’altitude.
Je me dis qu’il n’y a que les Suisses pour parvenir à domestiquer la montagne comme cela.
C’est en tout cas l’occasion pour moi d’envoyer des watts dans la descente, je retrouve mes ailes et parviens à doubler plusieurs concurrents que je rattrape un à un. Puis j’entends un concurrent qui se rapproche derrière moi, il se retrouve rapidement sur mes talons et je me décale pour le laisser passer. J’admire sa dextérité, il saute de rocher en rocher tout en étant bien relâché. J’en profite pour me relancer et essaie de le suivre quelques centaines de mètres. Puis plus bas j’entends un autre concurrent dans mon dos. Cette fois c’est une femme, petite un peu râblée, elle dévale la pente avec assurance et force. Je regarde son dossard, elle participe à la X-Alpine (course au format 140km). J’apprendrais à l’issue de la course qu’il s’agissait de la première femme de la X-Alpine.
En arrivant à Fionay, petit hameau de la commune de Lourtier, je me croyais arrivé au village, or le parcours emprunte une route et le profil devient plat. Je dois alterner marche et course, je n’ai plus de jus pour soutenir la course sur du plat. La fin de la descente est encore loin, encore 4 km avant le village.
La nuit commence à tomber, le parcours replonge dans une descente sur un chemin en sous-bois, et je reprends la course. Je suis accompagné d’un Français avec qui j’ai couru la fin de la descente. On se demande si nous parviendrons au village avant la tombée de la nuit. Dans les sous-bois, on ne voit plus rien, je craque le premier et m’arrête pour m’équiper de ma frontale. J’arrive à Lourtier, il est 22h, une heure d’avance sur mon planning. Cécile n’est pas là. Je m’inquiète un peu, je n’ai plus de moyen de communication, mon téléphone est HS.
Je parcours le lieu, il y a des tables dehors, une salle intérieure avec le ravito et une salle derrière de type gymnase avec quelques tables et chaises. Je suis un peu perdu. Je parcours des yeux l’étalage du ravitaillement. Je me rassure en prenant un nouveau bol de bouillon et m’assoie sur un banc à l’extérieur. La fatigue m’envahit. Je vois Cécile apparaître qui se précipite sur moi.
Quoi tu es déjà là ! tu as 1 heure d’avance ! me dit-elle. C’est tout juste si je ne me fais pas engueuler ! lol !
Je lui dis que j’ai bien bombé dans la descente. Je me laisse faire, elle est au petit soin, elle m’apporte de l’eau, un plat d’une espèce de bouillie « rizotto maison ». Au bout de 45 minutes d’arrêt (une éternité), je reprends vie. Il est temps de repartir pour la dernière difficulté. L’ascension jusqu’à La Chaux, appelée aussi « The Wall », une ascension de 1200m, dont 900m en 3km à plus de 30% de moyenne.
Je m’engage dans la pente avec détermination, pas question de me laisser impressionner. La lune éclaire les sommets, mon faisceau illumine le chemin. J’ai envie de découvrir le paysage alentours, mais dès que je quitte le chemin des yeux, je ressens un certain vertige qui me rappelle à l’ordre. J’aperçois des lumières plus haut : les frontales des concurrents. Cela me motive et je me rapproche d’eux assez vite, et quand j’aperçois un faisceau qui m’éclaire plus bas j’accélère encore le rythme pour ne pas me faire rattraper.
Je parviens au sommet au refuge de La Chaux 2 heures plus tard sans avoir faibli, la fin de course est en vue. Après un arrêt express au ravito en mode Killian Jornet. Lol ! Je m’engage dans la descente à bloc pour rejoindre l’arrivée 800m plus bas. Je dévale la pente dans la nuit, double plusieurs concurrents. Je savoure ma course. Ça y est j’aperçois les lumières de la station plus bas.
Je double un dernier concurrent sur une partie un peu raide et caillouteuse. Il semble un peu vexé et s’accroche derrière moi. Nous arrivons sur une piste large sans difficulté. Il en profite pour me repasser devant. Je ne lâche rien et me cale derrière lui. Je m’amuse de ce côté compétition qui semble dérisoire après plus de 17h de course et alors qu’il n’y a plus d’enjeu … Les premiers chalets sont là, nous entrons dans la station en courant à un bon rythme. Je suis toujours derrière lui. Je profite de l’arrivée sur le bitume pour allonger ma foulée et me surprends moi-même il me reste encore du jus ! je le passe, je ne sais pas combien il reste de distance avant la ligne d’arrivée mais je suis déjà en train de sprinter.
Finalement l’arrivée est là, je vois Cécile qui m’attend. Il est 2h du matin, il y a quelques spectateurs et je reçois tout de même quelques applaudissements. Une organisatrice me félicite. Cécile me dit que j’ai 1h30 d’avance sur mon timing prévu.
L’accueil de mon concurrent qui arrive juste derrière moi est encore plus chaleureux, ils sont 2 ou 3 à se précipiter sur lui pour le féliciter, il reçoit un cadeau. Je ne comprends pas bien. Je regarde le tableau d’affichage je vois mon nom apparaitre et le nom suivant c’est le 3ème de la catégorie M3 de la course X-Alpine ! Je n’avais pas remarqué que la couleur de son dossard était rouge et qu’il ne faisait pas la même course que moi ! bien la peine de faire un sprint !
Temps de course : 17h52 - classement : 317e sur 625 au départ, 502 arrivants (20% d’abandon), et dans ma catégorie : 18 e M4 sur 47. Finalement, le bilan est 100% positif. Une course parfaite ! je n’ai eu aucune défaillance. Cela me donne envie d’aller plus loin ! Est-ce que je ne changerais pas mon fusil d’épaule pour me lancer vers l’UTMB plutôt que la CCC ?
suite au prochain épisode ...