
De retour cette année sur le Trail de Haute Provence, après mon THP 80 de 2022. Nous sommes accueillis Cécile et moi comme il y a 3 ans chez Paul et Pascale. Cécile ne fera cette fois pas mon assistance puisqu’elle s’est aussi inscrite sur une course du THP, un 30km. C’est un sacré challenge pour elle. Elle partira à 15h30 soit 30 minutes après moi.
Gilles un copain, inscrit comme moi sur la Diagonale des fous s'aligne sur le 50km et Kevin avec qui je partage des histoires de Trail à la machine à café du boulot arrive sur le THP80 sans beaucoup de préparation.
C’est sur un format de 120 km, que je me présente, moins dans un esprit de compétition que d'entraînement . Seul compte pour moi cette année le défi du Grand Raid de la Réunion dont je prendrais part mi-octobre. Je partirai sur le THP sans bâton, malgré les 5800m de d+ annoncés, pour me tester avant la Diagonale qui interdit son usage. Les ultras enchaînés en 2023 et 2024 et ma préparation commencée en mars me donne plutôt confiance. Mais c’est sans compter sur la chaleur qui s’invite au menu comme il y a 3 ans. Les 30 degrés vont être largement dépassés. Avec un départ donné en début d’après-midi et une première partie du parcours à découvert, les conditions vont être difficiles.
Il y a de l’ambiance à Forcalquier ce samedi 31 mai. Nous sommes rassemblés, coureurs du 120 et du 160 sur la même ligne au cœur de la petite ville. Il y a foule. L’excitation monte. La chaleur atteint son paroxysme ! Le départ est donné. Beaucoup de monde nous acclame sur les premières centaines de mètres. Nous sommes ensuite à découvert et courons sur le bitume sur les premiers kilomètres. La chaleur pèse. Le peloton s’écoule.
Un personnage haut en couleur fait le mariole, il est bardé de tatouages sur tout le corps et cherche à amuser la galerie. Il a un fort accent marseillais, et est entouré de sa bande de potes. Pas vraiment ma tasse de thé, je cherche à m'extirper de ce groupe en accélérant, mais mon cardio s'élève et me commande de me calmer.
Nous quittons la route pour nous enfoncer dans la garrigue. nous suivons un chemin monotrace qui serpente. La végétation est clairsemée, il n'y a rien pour faire de l'ombre. Je suis parti avec mes 4 flasques de 0,5l pleines. Bien m’en a pris, mais la réserve d’eau et de boisson énergétique s’épuise.


Même si le soleil décline, la chaleur ne faiblit pas. Nous approchons du premier ravitaillement.
L’euphorie du départ est bien loin et les visages des coureurs commencent à être marqués par l’effort. La chaleur est étouffante dans cette salle. Je m'accorde une pause d’une dizaine de minutes. Je profite d’un Coca pour me requinquer, puis d’une soupe, de quelques morceaux de fromage et de jambon, de l’eau. Ça va faire un beau mélange dans le ventre. Je croise les doigts pour que cela passe. Je remplis seulement 2 flasques qui doivent me permettre de tenir jusqu'au prochain ravito, à une heure de là. Il faut optimiser le poids !

Le paysage change et devient champêtre. Le village d’Ongles nous accueille après 3 heures de course.


Nous traversons un autre joli village et à la sortie nous longeons un magnifique gîte. Des enfants jouent dans la piscine. Je rêve alors d'un plongeon dans l’eau fraîche. Je ne dois pas être le seul à penser à cela ! Le paysage est magnifique. Le soleil descend encore sur l’horizon à l’approche du soir, la chaleur est toujours là. J’arrive aux environs de 19h dans le village de Lardiers. Il y a beaucoup de monde, beaucoup de suiveurs attendent ici leur champion et championne. Pas d’assistance pour moi, je m’inquiète pour Cécile qui coure en même temps. J’espère qu’elle va supporter la chaleur ! Ce ravitaillement se situe au pied de la montagne de Lure. C’est une ascension de 900m de D+ qui nous attend.
Une autre course démarre. L’ascension débute par un long faux plat montant pour atteindre les contreforts de la montagne. Enfin à l'abri du soleil, la chaleur se fait moins intense. Je me souviens de cette montée lors de mon THP80 de 2022, dans une combe avec cet épais tapis de feuilles qui m’arrivait au niveau des mollets. Cette année, je fixe mon attention sur les mouches ! Elles m’attaquent. Elles ne me laisseront aucun répit pendant toute l’ascension. J'atteins le sommet vers 21h. Le soleil se couche.
Le temps est suspendu. La lumière est extraordinaire et la vue à 360 degrés sur toute la région est magique. C’est un moment en dehors du temps qui récompense nos efforts. Je m’arrête en extase pour admirer et pour immortaliser ce moment.
C’est dans un état de quasi méditation que je franchis le sommet du Contras matérialisé par cette tour de guet, pour prendre un chemin qui descend au loin.




Une file de coureurs s’étend à perte de vue et magnifie l’immensité de ce paysage. C’est grandiose!Je me sens léger pour entamer la descente, malgré le dédale de cailloux piégeux qui s’étale devant moi.

La longue descente plongeante vers la vallée du Jabron tarde à se présenter. A la place c’est une nouvelle montée ! Le parcours emprunte ensuite un chemin de crête qui prolonge le ravissement à la vue des sommets des montagnes environnantes qui se dessinent comme des ombres sur l’horizon et le ciel coloré de bleu, jaune, violet et orangé.
Je consulte mon portable. Je n’ai toujours pas de nouvelles de Cécile. Elle doit encore être en course à cette heure.
Nous plongeons ensuite dans la forêt. Il est temps d'allumer la frontale. La nuit est tombée. La descente s’amorce et la pente devient extrêmement raide. Le chemin de terre est assez glissant. Il faut freiner fort pour ne pas se laisser emporter par la vitesse. Un petit groupe de coureurs devant moi avance au ralenti. Je reste sagement derrière eux quelque temps. Quand un coureur arrivant derrière moi parvient à nous dépasser. L'envie d'accélérer est plus forte. Je saisis l’occasion de quelques bretelles pour dépasser le groupe à mon tour. Un peu plus loin, je rattrape le coureur et me mets dans ses pas pour dévaler cette longue descente.
A l’arrivée dans la vallée, nous échangeons quelques mots, très contents d’avoir partagé cet effort ensemble. Nous marchons un moment pour récupérer avant de nous élancer en courant en direction du ravitaillement de Langes. Le village est encore loin, il me tarde de faire une pause, la descente a été éprouvante.Je jette un oeil sur mon portable.
Enfin des nouvelles de Cécile ! Elle me dit être bien arrivée. Je la félicite, soulagé par la nouvelle !
J’arrive à Lange vers 23h30. Je titube à l’entrée de la petite place du village transformée en un hôpital de campagne pour trailers épuisés. Un jeune vient à ma rencontre, il m'installe sur une chaise libre et me demande ce qui me ferait plaisir. Il est aux petits soins. L’ambiance est festive parmi les bénévoles. Music barbecue… Je me fais servir. Il me propose un plat de pâtes avec un steak haché grillé. Je me contenterai d’une bonne soupe et de quelques encas.
Je quitte avec regret cette ambiance chaleureuse après une pause de presque 30 minutes.
A la sortie du village, je tente de rallumer ma frontale. Rien n’y fait je n’y parviens pas. Je rebrousse chemin et me mets sous un lampadaire pour changer la batterie. Quand le lampadaire s’éteint lui aussi ! Décidément ! Je réussis malgré tout à changer ma batterie et à allumer ma lampe après quelques longues minutes.
Une longue ascension vers la station de Lure m’attend dans la nuit noire. Je me sens requinqué, batterie rechargée !L’ascension se passe bien, j’avance d’un bon rythme. L’absence de bâton me pénalise sans doute un peu, mais les quadris tiennent le choc. J’arrive sur le plateau qui mène à nouveau près du sommet après cette 2ème ascension de Lure. Je regarde le ciel. Celui-ci ne semble pas totalement dégagé, j'aperçois à peine les étoiles, dommage. Malgré l’altitude, la température reste clémente, j’ai juste revêtu une veste coupe-vent. J’avance dans la nuit mais mon niveau d’énergie est au plus bas. Je parviens au ravitaillement de Lure.
La pause est longue, je récupère mon sac d’allègement, je me change. Je mange ma purée de patate douce fétiche préparée pour l'occasion et prends mon temps pour bien m’hydrater. Après une longue pause nécessaire de 35 minutes, je repars doucement dans la montée vers le sommet 250m plus haut.
Puis la descente s’amorce sur un chemin caillouteux. Les jambes sont lourdes. La souplesse et l’agilité me manquent. Je dépasse néanmoins quelques coureurs et me laisse aller à prendre un peu de vitesse au fur et à mesure que mes jambes se délient.
Je double un dernier coureur en annonçant avant mon dépassement “passe à gauche !”. Il semble un peu surpris. Il ne se décale pas et je dois faire un écart en dehors du chemin pour pouvoir le dépasser. Et 200m plus loin, je sens que mon pied s’échappe sur une pierre, ma cheville part, je me récupère comme je peux mais je reçois une violente décharge qui me signale une torsion. Un cri s’échappe de ma bouche. Je m'assois sur le côté sonné.
Le coureur que je viens de dépasser passe devant moi. Il a forcément vu mon embardée et entendu mon cri, mais ne s’arrête pas. Il passe comme si de rien n’était sans même un petit mot. No comment ! Je devine sa pensée du genre “bien fait pour lui” !
Je reprends mes esprits, et tente de repartir en marchant, la cheville semble tenir. Ce sera une alerte sans frais.La descente est longue. Les 900m sont avalés en 20 minutes environ. J’aurais le plaisir de doubler à nouveau, sans un mot non plus, le coureur qui ne s’est pas arrêté lors de ma chute.
J'atteins le ravito de Jas de Baille, au fond de la vallée du Jabron au petit matin, pour une pause cette fois plus rapide de moins de 20 minutes. J’entame ensuite une nouvelle et dernière ascension vers la montagne de Lure. Le lever du jour me rebooste. C’est une nouvelle course qui démarre.
Je parviens au sommet. Le paysage est toujours aussi magnifique.


La descente est assez rapide. Je garde en ligne de mire 2 coureurs. J'essaie de les suivre péniblement. Je sens la chaleur s’installer. nous restons encore abrités dans la forêt.
Puis les montées et descentes s'enchaînent. Nous sortons de la forêt. Le soleil commence à cogner.Je connais la difficulté de cette fin de parcours. c'est le même tracé que celui du 80 km il y a trois ans, où j'avais particulièrement souffert.
J'arrive au ravitaillement de Saint Etienne les Orgues vers 10h30. J'avais l'espoir de voir Cécile et Paul, mais non ils n'ont pas pu arriver à temps. Déçu je m'affale sur une chaise, complètement vidé. Il me faut quelques minutes pour retrouver de la lucidité. Le plat proposé est lentilles saucisse. Je me laisse tenter et me force à manger. La petite saucisse passe bien, en revanche les lentilles trop cuites me restent dans la bouche et passent difficilement.
Je quitte Saint Etiennes après 30 minutes d’arrêt. Il faut la terminer cette course. La chaleur est maintenant accablante. L’arrivée est encore loin, je pense uniquement à rejoindre le prochain ravito à 10km. Cette portion va s'apparenter à une traversée du désert. Je trouve le temps très long quand quelques fusées me doublent. Ce sont les premiers du 50 km qui me montrent le niveau de déchéance physique auquel je suis parvenu.
J’arrive épuisé à Fontienne. J'aperçois Cécile et Paul. Ils sont enthousiastes. Leur excitation va vite se dissiper en voyant ma mine défaite. Ils me fournissent une aide précieuse pour me ravitailler. Cécile m'encourage et me dit que je fais une course fantastique. Elle me donne mon classement au scratch, et ma position dans ma catégorie : 1er M4. Je rigole. C'est un bon canular … Je n’arrive pas à la croire, mais Paul surenchérit … et je finis par intégrer l'information.
C'est la première fois que je me retrouve dans une si bonne position. Cette nouvelle va me redonner un coup de fouet. Mon cerveau bascule et passe de la position “DOWN” à la position “FIGHT”. J'avale les derniers morceaux de fromage avec un Coca et repars au combat après une pause finalement bien plus courte que prévu.
Je parcours les derniers km sous un soleil de plomb en jetant mes dernières forces. J’ai la crainte de me faire rattraper dans la dernière partie. Je suis encouragé par Cécile et Paul à plusieurs endroits. Quand le moral est là, tout va ! et je vois enfin Forcalquier.

Je traverse le centre ville encouragé par les badots. J'aperçois Cécile et Paul près de l’arrivée. Je n’ai plus de force mais dois encore parcourir 300m. La ligne d’arrivée est là, proche et si loin aussi…
et je la franchis après 23h05 de course, 125 km et 6000m de d+ , en première position dans ma catégorie M4, et 52ème au scratch sur les 166 finishers et les 83 abandons.
Félicitations à Cécile qui a relevé son défi. Elle aura fait preuve d’une grande résilience pour dépasser un coup de chaud qu’elle a eu en début de course. Elle a réussi à terminer son premier 30K.
Bravo à Gilles mon compère du Grand Raid qui a terminé le 50 km.
Et chapeau bas à Kevin pour sa superbe course de 80K gérée de main de maître !
Enfin, un immense merci à Paul et Pascale pour leur accueil chaleureux et le partage de leur amour pour cette région.