Je me suis inscrit sur le Trail Nice Côte d’Azur 100K, à la recherche de « Running stone » (points qualificatifs à l’UTMB), comme un dernier objectif de l’année. Après avoir hésité à me tester sur un format 100M (160km), je me suis vite ravisé et j’ai choisi plus raisonnablement la version 100K. Elle était annoncée à 111km, 5000d+ et 6000 d-, avec un départ en altitude de Roubion, un village proche du Mercantour, pour une arrivée au niveau de la mer à Nice.
Le profil de la course paraissait plus facile que celui de Verbier, ma dernière course, qui se situait à une altitude moyenne de 2000m avec des sommets au-dessus de 2600m. Il y avait juste 35km en plus, rien qui ne pouvait m’effrayer.
Le profil du Trail Nice Cote d’Azur 100K
Une bonne semaine avant l’événement, la météo était au beau fixe sur la région et puis patatras quelques jours avant, la météo annonce une dégradation qui va se transformer au fil des jours en une alerte météo pour un épisode méditerranéen le samedi de la course. Pas de veine !
Nous arrivons Cécile et moi le vendredi matin à Nice sous un soleil radieux pour prendre possession de notre chambre d’hôtel. Une chambre à coucher que je n’aurais pas beaucoup l’occasion d’utiliser puisque je devais me rendre le lendemain au point de départ des navettes à 3h15 du matin pour rejoindre le départ de la course prévue à 6h.
La promenade des Anglais vendredi veille de la course :
Réveil à 2h45 samedi, l’hôtel était juste à côté du point de rendez-vous. J’avais évidemment tout préparé la veille. Je sors de la chambre à pas de velours pour ne pas réveiller ma douce et dans le couloir je me retrouve nez à nez avec un autre trailer, qui surpris, sursaute à ma vue.
Nous embarquons dans les bus affrétés et prenons la route. Nous arrivons à 5h15 dans le village. La pluie commence à tomber. Il ne fait pas chaud, 5 à 6°C tout au plus.
Le village semble endormi. Les volets sont fermés. Avec le froid et la pluie le village de Roubion m’apparait sinistre. La sono diffuse une musique en sourdine. J’ai connu meilleure ambiance au départ. Une foule de trailers, accompagnateurs et organisateurs errent dans la rue principale. Je trouve refuge plus loin dans cette même rue sous un tunnel. L’ambiance n’est pas à la rigolade !
Après quelques minutes d'attentes dans le tunnel, un speaker nous annonce que le départ est retardé. Des bus sont coincés sur la route d’accès au village. Nous devons attendre l’arrivée des retardataires.
Plus tard, on nous prévient que le départ devrait être donné vers 7h. un organisateur passe parmi nous et nous invite à venir nous abriter dans la salle des fêtes.
Je suis le flot de la foule. Celle-ci s’engouffre dans l’église du village. Sacrée salle des fêtes !
Nous voilà plusieurs centaines à investir la petite église. Le brouhaha et la température monte dans l’église. On entend parler toutes les langues.
J’examine l’équipement des « pèlerins ». Les 2 ou 3 couches du haut du corps plus la veste de pluie sont de rigueur, mais nombreux sont ceux à s’être équipés d’un collant long + surpantalon imperméable.
Cette constatation me fait hésiter longtemps sur la tenue à adopter. Le short parait un peu léger. Le collant n’est peut-être pas la bonne solution il va se gorger d’eau et ne va sans doute pas beaucoup me réchauffer. Tandis que l’option collant + surpantalon imperméable me semble trop chaude. Comme le début de la course est en descente et les passages en altitude ne sont qu’après le vingtième kilomètre, je décide de partir en short et d’attendre un prochain ravitaillement pour me changer.
Finalement l’appel est lancé, le départ est imminent. Nous nous rangeons tous derrière la ligne de départ. On annonce 700 participants. Je me place assez loin de la ligne. Je jette un œil sur le parcours jusqu’au premier ravito : 1100m de d- et seulement 270m de d+.
Sans grand cérémonial, le départ est donné à 7h15. Je suis assez loin de la tête de course.
Nous descendons la route du village pendant environ 1km et au détour d’un virage, le bouchon ! le parcours emprunte un single (monotrace) qui crée un goulot d’étranglement. L’attente est longue de quelques minutes avant de pouvoir s’engager sur le chemin. Je retrouve peu de temps après un nouveau bouchon puis les arrêts se succèdent sur les premiers kms. Le flot des coureurs ne parvient pas à s’écouler sur ces singles descendants.
C’est un peu frustrant. Je sens pas mal d’agacement chez tout le monde. Mais les trailers sont des gens disciplinés, je ne vois personne qui essaie de doubler sur ces singles. Au total je compterai après coup près de 20 minutes d’attentes cumulées sur mes premiers kms.
Après le premier ravito sur lequel je ne m’attarde pas, je m’engage dans la montée vers Valdeblore à mon rythme. Des chemins légèrement plus larges ont remplacé les singles. De nombreux coureurs, sans doute énervés par les embouteillages, me doublent pour tenter de rattraper leur retard. Je double aussi de mon côté. La progression est très agitée et désordonnée. J’ai hâte que le peloton s’étire enfin pour trouver un peu de sérénité.
Après le ravito de Valdeblore, nous attaquons le gros morceau, une ascension de 1300m de d+ du col de la Madeleine situé à près de 2000m d'altitude. Je me rends compte que je ne me suis pas changé et suis resté en short. Plus l’altitude s’élève plus je sens le froid me gagner. Je tente de réguler ma température en haussant le rythme. Je me retrouve sur le fil du rasoir. La pluie tombe en continu.
Je passe le col et je progresse sur l’arrête sommitale en plein vent. Je me dis que j’ai peut-être commis une erreur sur ma tenue. Enfin la descente arrive et avec elle l’espoir de voir la température remonter.
Arrivé au col de Fournès après environ 40km, 8h de course et 2500m de d+, soit la moitié de la dénivelée totale de la course. La fatigue commence à poindre. Le chemin est encore long avant la base de vie de Levens.
Une légère éclaircie me sort de ma torpeur. Je peux enfin sortir mon smartphone pour quelques photos.
Un peu plus loin, le soleil tente même une percée. Elle sera de très courte durée. Je m’arrête pour capturer un point de vue sur un village en contre-bas.
Je me permets même un selfie.
Un gars arrive et m’apostrophe. Il me propose de me prendre en photo ! Un peu surpris par la demande, j’accepte néanmoins volontiers et me voilà à prendre la pause en plein milieu d’une course. Nous nous amusons de cette situation et je lui propose de faire la même chose pour lui. Il hésite un peu me disant qu’il n’aime pas trop être sur les photos et puis finalement il accepte.
C’est un Breton. Nous allons faire un petit bout de chemin ensemble. J’apprendrai que les traileurs bretons affectionnent une côte d’une centaine de mètres de dénivelé appelé la « côte de la Biquette » qu’ils empruntent de nombreuses fois pour s’entraîner sur du dénivelé. Nous profitons enfin du paysage. Le passage sur la crête rocailleuse est superbe !
A la faveur de nos discussions le rythme a fortement baissé, mais ce moment m’a permis de me revigorer. Si bien que la descente arrivant je me décide à relancer et pars devant. Je réalise une descente rapide qui me permet de regagner quelques places et aussi me remettre dans un esprit course.
Utrelle : La vue sur le village de Utrelle, dernier ravitaillement avant la base de vie est magnifique. Je prends le temps de capturer une photo.
C’est un petit village charmant. Le ravitaillement est à son image. Il y a une équipe de bénévoles très sympa ! La chaleur humaine que je ressens fait du bien !
Je tape un peu la discute avec une charmante dame et lui fais des compliments sur l’ambiance chaleureuse. Elle me répond que c'est normal puisque le village est le meilleur ravito de la course ! Elle avait bien sûr raison.
En fait, elle confondait le trail de Nice qui était organisé pour la première fois avec celui de la Vésubie pour lequel semble-t-il l’équipe était déjà bien rodée et le ravitaillement réputé.
Après cette pause sympa ! je me relance dans la descente direction Levens. Je profite une nouvelle fois de la pente négative pour doubler. La fatigue s’est envolée. Les bâtons à la main je fais fi des cailloux et autres pièges. La « vitesse » me procure beaucoup de plaisir. Le moment est rare. Absorbé totalement, concentré sur le moindre de mes gestes je ne ressens ni la fatigue ni la douleur musculaire et pourtant les quadriceps doivent prendre cher. Je me sens en parfaite plénitude. Je me souviens de cette même sensation éprouvée à Verbier dans la descente du col du Grand Saint Bernard. J’ai appris depuis que l’on avait donné un nom à cet état. Le Flow.
Pour ceux qui veulent en savoir plus :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Flow_(psychologie)
Le chemin remonte ensuite vers Levens et j’arrive enfin à la base de vie à la tombée de la nuit après 12h30 de course.
Base de Vie de Levens :
La pause est bien méritée. Je récupère mon sac d’allègement et en profite pour me changer complètement. Le ravito est assez pauvre. Il ne propose qu’un plat de pâtes simple. Etant allergique au gluten cela ne fait pas mon affaire. Je prends finalement un bouillon et quelques morceaux de saucisson. (temps de pause 50 min.)
Après Levens, j'entame la montée d'une bon pas, 1000m d+ il y a quelques replats qui laissent penser que l'ascension est finie mais cela repart de plus belle après. C’est la nuit noire. La forme est toujours là, je double quelques concurrents dans la montée et puis beaucoup dans la descente. Certains me laissent spontanément passer et se décalent sur le côté quand j'arrive sur eux. D'autres n'esquissent pas le moindre décalage. J'attends un peu et puis force le passage. La différence de vitesse est importante. les muscles sont mis à rude épreuve, les bâtons dans la main, j'encaisse tous les chocs dans les jambes. Le cardio reste haut même dans la descente ce n'est pas le moment de récupérer. Plus de mille mètres de d- avalés à grande vitesse.
J'aurais finalement doublé 89 concurrents du 100K sans compter ceux du 100M entre Levens et Plan de Couthon.
A Plan de Couthon, je ne m'attarde pas. Je repars avec le plein de confiance, face à une côte de 500m d+ mais... ma montre indique 4500m de d+ déjà faits, ce qui ajouté au 500m de la côte à venir ferait un total de 5000m d+ soit le total annoncé du parcours. Je perçois qu'il y a quelque chose qui cloche, nous sommes encore loin de l'arrivée et mes craintes vont se confirmer. J'ai dans la tête le profil du parcours avec des sommets sur la fin qui paraissaient bien petit à côté du sommet du début à 2000m. Est-ce que j'aurais sous-estimé les dernières difficultés ?!
J'entame le début de l'ascension sur un rythme raisonné. Et puis soudain la panne sèche. Impossible de monter dans les tours, le cardio reste scotché à 120. je m'essouffle tout de suite. C'est un gros coup de mou qui se profile, qui s'apparente à un coup de bambou.
Je fais un rapide check-up et cherche la cause possible. Je rebois de l'eau ce n'est sans doute pas une déshydratation. je me mets sur le côté pour laisser passer des concurrents et j'avale une barre, cela ne peut pas faire de mal. Peut-être un manque de sels minéraux, j'ai un peu négligé d'ajouter des comprimés d'Electrolyte dans mes flasques. Je continue tant bien que mal l'ascension à un rythme lent et vois la jauge du moral s'écrouler.
La descente arrive enfin et me permet de reprendre un peu de vitesse, mais plus question de jouer les cadors. Ma montre commence à bugger elle affiche 50.000m D+ réalisé, sic !
A l’arrivée à Tourette Levens, après 19h de course (la durée la plus longue de mes courses est dépassée, c’était à Verbier avec près de 18h) je m’affale sur une chaise et pousse un grand soupir. Je regarde un gars il me sourit. Pas besoin de mot pour se comprendre …
j'engage la conversation il n'a pas l'air de comprendre le français, je tente l’anglais sans plus de succès. Il est italien la discussion n’ira pas plus loin.
J’examine la suite du parcours encore 2 ravitos avant l’arrivée. Celle-ci parait bien loin. Je repars sur un rythme lent, je ne suis pas le seul. Je double Matthieu on entame la conversation, je le lâche et fais la rencontre quelques centaines de mètres plus loin de Franck.
Matthieu qui calait dans les descentes, « plus de quadris » me disait-il. Je le voyais bien cadre parisien travaillant dans une banque (je ne lui ai pas demandé). Toutes les barrières, sociales ou autres, sont ici tombées.
Franck un gars du sud, de nombreux 100Miles au compteur, voulait abandonner au 30ème km. Je ne sais pas si c’est l’effet de la course mais je le trouve un peu perché. Il trimbale avec lui une caméra. Il me dit avoir une chaine YouTube « Royal Bâtard », tout un programme !
Tous les deux me racontent les mêmes difficultés du 100M (Miles). "La descente de la station Isola était abominable". "Celui qui a conçu le parcours est un malade ! un sadique ! ". Je vais faire la dernière partie de la course en leur compagnie. on se croisera plusieurs fois aux ravitos ou sur le parcours. Je suis admiratif. Ils ont une nuit de plus que moi dans les jambes !
Franck a d’ailleurs tendance à zigzaguer. Il me dit qu’il s’endort tout en continuant sa route. Je lui fais la conversation pour le maintenir éveillé.
Arrivé à Drap, je suis un peu perdu devant l’étalage en cherchant quelque chose à manger et à boire. Je suis pris en charge par une charmante dame qui me prend mes flasques pour les remplir d'eau et m'indique où se trouve le bouillon. Je lui dis après quelques minutes que l'on se sent bien dans ce ravito, pendant que la sono diffuse un morceau de Stevie Wonder "Superstition" ! J'amorce un petit pas de danse en hochant la tête. Exactement ce qu'il me fallait pour faire remonter l'adrénaline !
Je m’attarde un peu pour profiter du lieu et du réconfort, et je repars un peu regonflé.
C’est reparti pour une ascension de 500m, je recroise Franck, il se cale derrière moi. Nous affrontons un raidillon boueux, je glisse et m’accroche à ce que je peux pour ne pas reculer. Il me demande si cela ne me dérange pas qu’il me filme, et se marre ! la caméra est braquée sur moi par en dessous. Il se fout de moi ! Il m’appellera le Trailer patineur dans sa vidéo (*) diffusée sur sa chaîne YouTube.
Arrivés sur la crête, on aperçoit la ville de Nice et la baie des Anges.
Le jour se lève, mais il n’y a pas de répit, les descentes sont toujours aussi cassantes, les marches sont hautes, les chemins sont pavés d’un mélange de cailloux et de boue. On appelle cela un parcours technique en langage trail ! C’est une vraie saloperie en fait !
J’atteins le derniers point de ravitaillement le Plateau Saint Michel vers 7h du matin. Certains coureurs font l’impasse et filent direct vers la mer. Je m’arrête pour prendre un bouillon pour me réchauffer. Il reste encore 10 km à parcourir, c’est encore long. Heureusement cette dernière partie est plus roulante et on arrive assez vite dans les faubourgs de Nice. C’est le retour à la civilisation. Nous parcourons un quartier résidentiel avec de nombreuses villas luxueuses avec piscines et vues sur la presqu’île de Saint-Jean-Cap-Ferrat.
Nous finissons par arriver au niveau de la mer, les derniers escaliers pour atteindre le chemin de la corniche sont une torture pour certains. De mon côté les quadriceps ont encore une fois bien tenus. Je cherche les rubalises et me perds, je suis avec un autre coureur. Une personne au balcon nous appelle et nous redirige sur le bon chemin. Nous remontons quelques marches pour traverser un peu plus loin et reprenons un escalier qui descend. Un groupe de coureurs nous passe devant, sans un mot.
On arrive sur la corniche balayée par les vagues, l’arrivée n’est plus très loin, mais difficile de savoir la distance restante 1km, 4kms ? Je suis le groupe de coureurs et hésite entre le rejoindre ou bien rester derrière. J’ai peur de suivre un rythme trop élevé avec le risque d’exploser trop loin de l’arrivée.
A l’approche de l’arrivée, le soulagement mais aussi l’excitation domine. La finish line est acquise. Je pense de nouveau à la performance que je vais accomplir et ne refuse pas de grignoter quelques places.
Le rythme devant semble s’accélérer, nous passons la corniche sans avoir de visibilité sur la suite. Peut-être ont-ils lancé le sprint pensant que l’arrivée était proche. Je les laisse partir. Après le virage, nous apercevons le port de Nice, la promenade des Anglais est encore loin. Le groupe devant stoppe son effort et j’arrive à leur hauteur.
Toujours la même hésitation entre les suivre de loin ou les accompagner. En fait je n’ai pas trop envie de rester avec eux, d’autant que je ne sens pas un accueil chaleureux de leur part. je décide donc finalement de partir tel un kamikaze devant. Au bluff je les passe rapidement et maintiens mon effort pour mettre un écart suffisant entre eux et moi.
Je rejoins le port et croise de nombreux coureurs (du dimanche) sur les quais. Je compare leur tenue très apprêtée et la mienne pleine de boue. Ceux dans le même sens que moi me doublent ce qui relativise beaucoup ma vitesse. Mon cardio remonte, cela faisait un bail que je n’avais pas été à ce niveau. Je prolonge mon effort jusqu’à un virage me permettant de voir derrière si mon accélération a pu produire son effet. C’est bon le trou est fait, mais il va falloir tenir !
Je continue sur le même rythme en espérant que l’arrivée soit proche, il restait 3km.
Je vois à présent la promenade des Anglais, l’arrivée est superbe et ensoleillée. Quelques applaudissements retentissent. Cécile est là pour m’encourager et me féliciter. Je lance un ultime sprint pour arriver sur le tapis rouge et franchir la ligne d’arrivée, heureux d’en finir.
Mon temps 25h52, 310ème sur 704 partants, 9ème de ma catégorie.
Plus de 30% des partants n’ont pu finir la course.
Des commentaires des autres coureurs, après la course, la distance devrait être réévaluée à 116Km, 6000m d+ et 7000d-, cela fait quand même une différence.
Voilà le 4ème défi de cette année est réalisé après l’Ecotrail, le Trail des Hauts de Provence, le Trail de Verbier Saint-Bernard et maintenant Nice. L’année a été riche. Me voilà bien lancé pour l’année 2023, avec l’espoir d’être au départ de l’UTMB à Chamonix début septembre. Ce sera une autre histoire !
(*) Lien Vidéo sur la chaîne YouTube « Royal Bâtard » – Jean-Raoul, le Trailer patineur à 1h18 du début. https://www.youtube.com/watch?v=ADOA5KnRZEY