Le trail de Haute Provence « Cap à Lure » est une course au départ de Forcalquier qui chemine de village en village au cœur de la Provence, pour rejoindre le sommet de la montagne de Lure qui culmine à 1800m d'altitude.
Le temps semble s'être arrêté sur ces paysages dépeints par Cézanne et par Giono, sur ces champs de blés colorés de coquelicots et caressés par le vent, ces mas de pierres sèches, ces forêts de chênes sauvages, et ces champs de lavande, pas encore en fleur à cette époque de l'année.
Après avoir récupéré mon dossard la veille dans le village qui s'était déclaré en fête ce WE du 27 au 29 mai 2022 - il n'y avait pas moins de 7 courses organisées de 8km au 160km durant ces 4 jours de l'Ascension - me voilà rentré avec mon dossard du 80km " cap à Lure", chez Paul et Pascale, mes amis de Provence qui m'accueillent pour ces quelques jours à Banon, petit village très pittoresque à 25km de Folcalquier. Après une nuit très courte (stress + réveil à 2h), j'étais sur la ligne de départ à 5h du matin, avec 132 participants à mes côtés.
Départ tranquille, je me place à l'arrière du peloton sachant que la route va être longue, mais sans trop savoir non plus ce qui m'attend. Le jour commence à poindre, sur les collines qui surplombent Folcalquier. Un concert de chants d'oiseaux nous éveille à la beauté de cette nature.
Une colline, puis une vallée, un village, puis une autre colline nous mènent au premier ravito au 22e km, accueillis par des bénévoles nombreux et aux petits soins. Sans m'attarder je continue mon périple pour rejoindre le deuxième ravito une dizaine de km plus loin.
La course est lancée, le soleil est déjà haut, les discussions commencent avec quelques participants.
J’entame la conversation avec un Marseillais haut en couleurs à qui je me permets de conseiller d'ôter sa frontale qu'il a gardé sur la tête. Il me remercie et nous tapons la discute pendant quelques minutes. Un autre gars très sympa vient se mêler à la conversation. Je les retrouverai à l'arrivée lui juste devant moi, et le marseillais 2 minutes derrière. On se tapera dans les mains, heureux d'en avoir terminé après un long périple.
Je retrouve Cécile, ma femme, mes amis Paul et Pascale et ma chienne Olympe au ravito de Lardiers, après 29km et déjà plus de 1500m d'ascension cumulée. Ma chienne jappe et entame une danse de l'arrière-train en me reconnaissant de loin, ce qui fait rire tous les bénévoles.
L'ambiance est à la rigolade, il y en a un qui se moque de ma casquette saharienne en me comparant à une bonne sœur de St Tropez.
Avant de repartir je jette un coup d'œil sur le parcours à venir, 900m d+ à avaler avant le prochain ravito, je me dis que le gros morceau est devant moi, 900m d'ascension avant le prochain ravito, ça calme!
L'ascension se fait dans une combe en sous-bois, sur un matelas de feuilles qui nous arrive au niveau des mollets. Le bruit des feuilles et celui du vent dans les chênes, me rappelle de lointains souvenirs de poésie de Giono.
La pente devient de plus en plus forte. Avec la magie du lieu et l'effort accompli l'atmosphère n'est plus au partage, on se recentre sur soi : l'écoute de la nature mais aussi l'écoute de ses propres sensations, la fatigue est bien là. Je suis un couple devant moi. L'homme en tête imprime le rythme, la femme 10m derrière sur ses talons et moi 10m derrière m'accroche à ce rythme. Je vais les suivre pendant une bonne partie de la montée et finalement pas très loin du sommet, je me laisse décrocher sentant le point de rupture arriver.
Dans la descente, je retrouve le couple et l'on échange quelques mots sur le nombre d'ongles de pied que l'on va perdre ou qu'il nous reste encore. Je reprends des forces ... et me décide à accélérer un peu. 500m plus bas nous voilà repartis dans une ascension pour rejoindre le ravito. La reprise est terrible. Le cardio s'affole.
Déshydratation ? Hypoglycémie ? Rythme trop rapide ? Peut-être un peu des trois. Je décide de m'accorder une longue pause au ravito de la vallée de Briau (42e km). L'estomac serré, je me force à boire. Je tente de m'alimenter avec du fromage ou du jambon, mais impossible de déglutir. Seuls 2 ou 3 morceaux de banane parviennent à passer, je tente de la pastèque qui passe finalement très bien. Le couple arrivé 2 minutes après moi est déjà parti. Le ravito se vide et je reste toujours scotché. Une nouvelle ascension de 900m d+ se présente à moi.
Je me décide quand même à partir. Le rythme est lent, je suis tout seul, sans repère visuel, je continue l'ascension sur un rythme qui semble me convenir, je sors de la forêt pour déboucher sur un paysage à couper le souffle.
Le sommet semble là à ma portée, ce ne sera que le début de la crête suivie d'une succession de montées et descentes pour terminer au sommet de Lure. Le paysage est grandiose, avec une vue à 360°.
Je croise un gars sur le bord du chemin allongé sur le dos, jambes repliées. Je lui demande si tout va bien, il me répond avec un large sourire que c'est juste des crampes.
Quelques rares promeneurs me regardent passer, ils m'encouragent, je les remercie pour ce petit réconfort. Le sommet est en vue cette fois.
Je jette un coup d'œil sur mon roadbook, le prochain ravito est encore loin 500m en contrebas après le sommet. J'entame la descente sur un bon rythme, en espérant que mes quadriceps tiennent les plus de 2000m de descente restante jusqu'à l'arrivée.
Je retrouve le couple un peu en difficulté la femme est cette fois en tête et c'est l'homme qui est derrière. Au ravito de la station météo de Lure, je tente encore une fois de m'alimenter. Quelques morceaux de banane, de la pastèque, impossible d'avaler autre chose. Le coca me redonne un petit coup de fouet, je replonge dans la descente.
La chaleur commence à se faire étouffante. Je suis surpris que le chemin s'élève à nouveau, j'avais raté ces 200m d+ dans le parcours ! La côte fait très mal ! Je me force à boire. La chaleur m'écrase.
Enfin la descente arrive, 900m d- avant le Ravito de St-Étienne. Elle est d'abord cassante, avec beaucoup de pierres, puis plus roulante en sous-bois dans les feuilles.
J'arrive à Saint-Étienne-les-Orgues où Cécile et mes amis m'attendent. Cela me donne des ailes, j'essaie de courir à l'approche du ravito, pour me montrer sous mon meilleur visage.
Je rattrape un concurrent, je le reconnais, nous avions discuté au tout début du parcours en compagnie du marseillais. Au ravito, nous échangeons quelques mots chacun sur sa chaise, abattus de fatigue.
Il y a une complicité entre nous, nous sommes en quelques sortes des compagnons d’effort. Je le regarde, il a l'air vraiment au bout du rouleau. Je me demande si je ressemble à cela, Cécile me dit qu'elle ne me trouve pas si mal ! J'essaie de me rassurer en me disant qu'il ne reste plus de grosses difficultés, juste 15km 500m d+ et 600m d-. Les barrières horaires sont loin, c'est quasi gagné.
Je m'attarde un peu et savoure dans la douleur ce petit moment de repos. Le gars lui est déjà parti. Un dernier bisou, je dis à Cécile "à tout à l'heure à Folcalquier", plein de confiance.
Après 1 km, je vois ce même gars 100m plus loin qui semble au ralenti. Loin de me réjouir d’avoir l’opportunité de gagner une place, je compatis de ses difficultés. Mais j’ai un peu préjugé de sa défaillance. Il a dû sentir que je le rattrapais, et a réussi à trouver les ressources pour accélérer. Je ne l'ai plus revu finalement avant l'arrivée.
J'avance à mon rythme. Je retrouve un peu de lucidité pour faire un check-up général, me force à avaler de l'eau, une pâte de fruit, un quart de compote, une bouchée de barre céréales. Tout cela me dégoutte, mais pas question d'avoir une défaillance maintenant, si près du but.
Tous mes sens sont en éveil, je suis à l’affut de la moindre alerte. Je me dis que ça va le faire. Puis je savoure serein ces derniers km, heureux de ce que j’ai accompli. Il ne peut plus rien m’arriver.
Un dernier ravito, il reste 9km et encore 400m d'ascension. Je double deux concurrents qui marchent et n'ont visiblement plus envie de se faire mal, je garde mon rythme, qui est très lent mais tout de même constant, je rattrape un jeune d'une vingtaine d'années, au ralenti. Il est hagard. Je lui demande si ça va, il me répond un "mouais" pas très convaincu. J'essaie de l'encourager comme je peux.
Il reste 7km. Et Forcalquier est en vue ! C’est l'arrivée !
Les derniers mètres sont légers. Je vois Cécile et mes amis de loin qui poussent un cri. Ils semblaient surpris que je sois déjà arrivé. J'entends quelques applaudissements et encouragements avant la ligne d'arrivée. Je retrouve mon gars entr'aperçu quelques km avant, qui longe les barrières avec un énorme sourire de finisher ! Je m'arrête pour le féliciter pour sa superbe fin de course, heureux pour lui, qu'il ait su résister à mon retour ! Et je franchis à mon tour la ligne d'arrivée en levant les bras au ciel.
Distance 80km, 3800md+ Mon temps 14h51. Mon classement 84e au scratch (12e V2) sur 152 inscrits, 132 partants, 16 abandons ou hors-délai. Le trail le plus long que j'ai fait jusque-là !
Quelques leçons que je conserve pour mes prochaines courses : La gestion du stress est à revoir, j'ai très peu dormi les 2 nuits précédentes. Elles ont certainement pesé pendant la course.
Je n'avais pas pris mes bâtons (j'ai perdu un des gantelets de mes Leki en faisant mes bagages), les quadris ont finalement tenu ! Merci le programme de ppg! (FITRUN Challenge 100jours de renfo trail pour ceux que cela intéresse)
La gestion de l'alimentation et de l'hydratation est sans doute à revoir. Au final, j'ai pris beaucoup de plaisir et rencontré aussi quelques moments de souffrance mais je vais très vite les oublier j'en suis sûr. La course en elle-même était très bien organisée. Le parcours était magnifique et varié. Je recommande vivement.
Un énorme merci à Cécile et à mes enfants qui m’ont soutenu pendant la course et pendant les semaines de préparation.
Un énorme merci aussi à mes amis Paul et Pascale qui m’ont proposé ce Trail, nous ont hébergés durant ces quelques jours, nous ont fait découvrir ce coin de paradis et avec qui nous avons passé des moments inoubliables !
Merci à tous les amis coureurs du club de Gif, pour leurs encouragements ! j’espère que ce petit récit donnera envie à certain de se lancer dans une telle aventure. Merci à tous mes amis du « Grand Beau » pour leurs encouragements.
Rendez-vous au Trail de Verbier Saint Bernard début juillet 2022, ma prochaine étape...